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En finir avec la culture du pardon ?

  • Photo du rédacteur: Philippe BRAMI
    Philippe BRAMI
  • 6 mai
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 6 jours

Tâche d'écriture thérapeutique
Tâche d'écriture thérapeutique
Dans ma pratique, je vois souvent des personnes influencées — parfois à leur insu — par certains discours dominants du développement personnel. Il faudrait pardonner, être reconnaissant, apprendre à voir le bon côté des choses…
Mais à force de vouloir être “élevé spirituellement”, beaucoup finissent par se couper de leurs émotions les plus humaines : la tristesse, la colère, le ressentiment, la déception.

Un exemple très concret

Une jeune femme d’une trentaine d’années vient me voir, bouleversée. Elle me parle d’une dispute avec une amie très proche, et d’une autre qui aurait tenu sur elle des propos désagréables. En apparence, rien d’extrême. Et pourtant, elle ressent une immense tristesse, de la confusion, une colère sourde.
En creusant, elle réalise que tout cela ravive une blessure plus ancienne, plus profonde : le sentiment de ne pas être “assez”. Pas assez bien. Pas assez aimable. Pas assez digne d’amour.
Elle est fille unique. Elle évoque ses parents avec douceur : “Ils m’aimaient sûrement.”
Mais aussi avec lucidité : critiques, moqueries, dévalorisations étaient fréquentes. Et aujourd’hui encore, elle garde de bonnes relations avec eux. Elle ne semble pas leur en vouloir. Elle se dit “rationnelle”. Positive. Adulte.
Et c’est là que quelque chose coince.
Elle me dit : “Ce n’est pas rationnel d’être aussi triste pour de petits différends.”
Mais son corps, ses émotions, ses pensées, tout en elle dit le contraire. Ce qu’elle ressent est bien réel.
Sa “positivité”, sa “gratitude”, sa “rationalité” sont devenues des protections. Des stratégies de survie.
Des injonctions intérieures issues d’un “Parent normatif”, comme on le dirait en Analyse Transactionnelle :“Sois raisonnable. Ne sois pas en colère. Pardonne. Tourne la page.”
Mais…Comment tourner la page si on n’a jamais eu le droit d’en vouloir ?
Comment pardonner si on n’a jamais pu dire : "ça m’a blessée" ?
Comment se reconstruire si on culpabilise à chaque émotion ?

Une tâche d'écriture thérapeutique

Je lui ai proposé un exercice d’écriture entre deux séances. Voici, en substance, ce que je lui ai dicté :

🎯 Exercice d’écriture thérapeutique :

“Écrivez une lettre de colère à vos deux parents – ensemble ou séparément. Racontez des souvenirs ou fragments de souvenirs où vous vous êtes sentie rejetée, critiquée, humiliée.

Pour chaque situation : décrivez ce que vous avez vécu, laissez monter les émotions et écrivez les sans filtre.

Puis, terminez par une déclaration de dignité :‘Je suis comme je suis. J’ai le droit d’être ceci ou cela; je n’accepte pas vos critiques, vos dévalorisations, etc.’

Cette lettre doit être outrancière, émotionnelle, sans nuance.

Écrite par votre Enfant blessé. L’Adulte et le Parent se mettent en retrait.”


L'idée n'est pas qu'elle en veuille indéfiniment à ses parents , ni de leur envoyer cette lettre.


À d'autres moments, il sera temps de lister tout ce que ses parents lui ont apporté.

Ce sera le temps de la gratitude. Mais l'idée est de ne pas mélanger les intentions thérapeutiques, au risque de créer de la confusion et de l'inefficacité.


En sortant de la séance, elle était soulagée. Ce n’est qu’un début, bien sûr, mais un début important : celui où elle s’autorise à ne plus être seulement “positive” — mais pleinement humaine.

Je remercie cette cliente anonyme de s’être livrée avec autant d’ouverture et d’émotion. C’est toujours très touchant pour moi d’accueillir la vulnérabilité des personnes que j’accompagne. J’accueille avec gratitude la confiance qu’elles me font.


Pardonner… mais à quel prix ?

Alors oui, le pardon peut avoir sa place. Mais pas comme injonction.

Pas comme standard de bien-être ou de maturité spirituelle.

Avant de pardonner, il faut reconnaître.

Avant de passer à autre chose, il faut ressentir.

Sinon, on ne guérit pas : on repeint la façade.

La culture du pardon, quand elle devient une norme rigide, est une façon élégante d’étouffer les émotions qui dérangent.

Elle nous murmure : tais-toi, élève-toi, sois sage…

Mais en thérapie, je crois qu’il faut parfois descendre d’abord dans la douleur, pour remonter à la surface – et respirer.

Parce que l'expression de la colère est souvent la sentinelle de notre dignité.


Je le dis ici sans détour : je ne suis pas un grand adepte de la culture du pardon.

Ce n’est pas qu’il faille haïr à vie ceux qui nous ont blessés.

Ce n’est pas non plus qu’il faille se complaire dans la colère. Mais entre le pardon normatif ("Tourne la page") et la rancune éternelle, il existe un chemin plus juste : celui de l’expression authentique.

Le pardon, s’il vient, vient naturellement, quand la blessure est reconnue, entendue, intégrée.

À ce moment-là, pardonner n’est même plus un enjeu. On n’en veut plus à la personne. Mais ce n’est pas une étape obligatoire.


Attention aux figures du "Parent normatif" :

Il y a deux types de voix intérieures qui font des ravages :

  • Celle qui dit : “Pardonne, c’est bon pour toi.” Et qui, en fait, nous pousse à protéger (indirectement) celui qui nous a blessé.

  • Celle qui dit : “Ne lui pardonne jamais !” Celle-ci nous enferme dans une posture de procureur éternel. "La victime à vie" devient procureur.


Moi, j’invite à une autre posture : Être avocat de soi-même, et procureur de personne.


Voilà. C’était un aperçu de ce qu’on travaille parfois en séance. Peut-être que ce partage résonnera aussi en vous. Car derrière bien des douleurs présentes, il y a souvent des blessures anciennes — recouvertes de couches de rationalité, de positivité, de “tout va bien”… et qui n’attendent qu’un espace sûr pour, enfin, pouvoir se dire.

Bien sûr ce n'est pas toujours le moment ou le contexte opportun pour dire les choses, et parfois la protection est nécessaire.

Il existe un juste milieu : Exprimer ce que l’on a ressenti. Ne pas minimiser. Ne pas exagérer. Juste… dire.

Et parfois, quand tout cela est dit, entendu, reconnu…le pardon vient tout seul. Ou disparaît comme enjeu.


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