
Dans le cadre de l'atelier Easy poésie de juin 2024, thématique de notre relation aux mots.
Et si nous leur donnions la parole ?
Voici donc deux textes écrits du point de vue des mots qui s'adressent aux humains...
Lettre d’amitié des mots aux humains
Nous avons besoin de votre élan vital, de votre corps, de votre émotion.
Nous voulons retrouver le mouvement, la vitalité pour que chaque mot sente son passage sur terre.
Nous voulons revenir au sacré, passer par votre cœur, illuminer l’esprit.
Nous les mots, nous avons envie de vous toucher, de vous donner du sens, d'être écrits, dits, chantés, criés avec le cœur, devant témoin ou dans l’intimité.
Il nous faut parfois un atelier poésie, une scène, des rendez-vous d’amis,
pour ressusciter la passion des mots, la créativité, les harmonies de sons et de sens.
Merci les slameurs, poètes, chanteurs, jongleurs de la langue, de faire jaillir le sacré, la joie, l'incandescence.
Oui aux mots confits, ceux qu'on a laissés mijoter des jours,
qui sont imprégnés des saveurs de vos pensées,
de vos corps, de vos cœurs,
des mots gorgés de sensible, d'émotion,
témoins du temps passé à rêver et à vivre.
Le temps est venu pour vous, humains, de retrouver l'art de vivre,
de venir nous goûter,
l'art de nous laisser venir, libres, désintéressés,
l’art de nous partager.
Nous sommes …Les mots vivants, vitalisants,
Les mots échappés de la censure ou de la bien-pensance
Les mots qui gambadent dans votre imagination.
Les mots qui connaissent des alliances improbables.
Les mots affranchis, rafraîchis, qui désaltèrent, allègent le désespoir, sortent de la léthargie, protègent de l'hypocrisie.
Les mots frais au goût d'agrumes, au parfum de fleurs sauvages, à la saveur sucrée des pastèques, des melons ou des pêches d'été.
S'il vous plaît, sortez - nous du quotidien nous avons envie de partir en voyage, de toucher l'inattendu.
S'il vous plaît, remettez au gout du jour les rencontres insolites :
Chapeau melon Poisson Clown Bric à brac Bête à concours
Radio taxi Perspective atmosphérique Clopin-clopant Vague à l'âme
Nous avons envie de frais, de beau, de terroir ou d'exotique,
Nous fleurissons à chaque saison du cœur
pour guider votre chemin, transcender le quotidien.
Venez nous cueillir directement sur l'arbre de l’inspiration
Nous offrir sur l’autel de l’amitié, l’amour et la sagesse.
Que nous soyons simples ou bizarres
Nous sommes là pour chatouiller vos oreilles, entrer dans vos conversations,
vous faire gouter l’ici et maintenant
Vous emmener ailleurs, voyager dans le temps
Nous sommes les mots magiques pour ouvrir les cavernes d'Ali baba, les frontières et le cœur des gens
Nous attendons de vous l'élan, l'énergie, le souffle, l'audace
Car vous l'avez compris, vous n'avez pas dit votre dernier mot !
Philippe BRAMI Juin 2023
Nous les mots, lettre de colère aux humains…
Nous avons à vous parler de notre colère, la voici
Parlons d'abord des mots délaissés, orphelins, oubliés,
Des mots qui restent sur le carreau
Des mots créés un jour et qu’on ne revoit jamais
Délivrez-nous, sortez-nous du tombeau de l’oubli
Parlons des mots flétris, acoquinés à l’intention partisane ou commerciale
Marre d’être rabâchés, exténués, engoncés dans les normes
Marre d’être les mots que l'on attend, que l'on craint,
que l'on soupçonne, que l'on déforme.
Délivrez-nous des intentions cachées, des présupposés,
Retrouvons l’air frais, le neuf, le sacré
Parlons des mots qu’on porte en bandoulière,
On nous enchaîne à des causes, des opinions, des intérêts
On nous tient en laisse, on nous effigie, nous fanfaronne, nous blasonne, nous affiche sur les pancartes, les plastrons, les gâteaux, les drapeaux
Retrouvons la li-ber-té !
Et que dire des mots usés ?
Marre que l'on nous répète en boucle sur les réseaux, à la télé, entre amis
Toujours copiés, nous sommes vidés
Délivrez-nous du copier-coller permanent !
Parlons des mots censurés
Nous circulons sous le manteau dans les dictatures,
Dans les démocraties, nous nous faisons discrets
Vous les censeurs, les suiveurs, les frileux
Par peur de la prison ou par trahison
Peur de la désapprobation ou par précaution
Vous nous tenez par le collet, nous bâillonnez,
Vous nous faites dire n'importe quoi.
Quand on vous prend au mot, quand vous pinaillez, nous souffrons
Délivrez-nous des censeurs et des tartuffes
Parlons des mots planqués
Vous faites tellement attention à ce que vous dites,
Vous vous réfugiez derrière les mots valises, les mots politesse, les mots banaux, les mots ragots, ras-le-bol, il n'y en a que pour eux !
Délivrez-nous des frileux !
Parlons des mots barrière,
Mots qui confinent, mots au cas où, mots jargon, techno-mots, mots valises, mots lyophilisés, en conserve, vidés de leur saveur
Le temps est venu de sortir de la culture du fast word.
Il n’y en a que pour les mots tout mous, ceux qui ne se mâchent pas
Les mots qui deviennent industriels,
Bien marquetés, léchés, guindés, ampoulés, encombrants
Nous sommes porteurs de la tristesse
des mots qu'on s'envoie à la gueule, qui font mal
De la tristesse des mots débiles tatoués à l'encre de la bêtise ou de la méchanceté, indélébiles
Cesser de nous utiliser pour harceler les jeunes et les moins jeunes
Nous sommes solidaires des mots qui souffrent :
Les mots qu'on dit trop, qu'on dit mal, les mots qu'on ne dit pas,
Les mots mirage qu'on croit reconnaître au loin dans le désert : on les espère et ils ne viennent jamais
Et nous, les autres, nous restons sur le carreau
On nous oublie, on nous exploite, on nous déforme
Vous et nous, sommes dans le même bateau
Nous sommes les mots qu'on aimerait dire et qu'on n'ose pas,
Les mots qui vous ont échappé et qu’on a regrettés
Les mots qu'on dit en espérant secrètement les recevoir en retour.
Les mots qu'on reçoit trop, par n'importe qui et qui ont perdu leur saveur.
Les mots qui ont fait des mariages forcés, qui sont mis à toutes les sauces :
Super /en fait /tu vois /
Parlons maintenant de notre corps
Qui a ravi notre corps ?
Vous nous écrivez aujourd’hui avec des doigts sur le clavier
à la dictée vocale, et même des automates vous suggèrent des formules « adaptées »
Ce sont les mots les plus communs, les plus connus, les plus employés, qui sont les plus suggérés.
C'est facile pour vous, vous gagnez du temps, mais nous, ça nous banalise, ça nous assèche, nous épuise.
Où est passée l'époque où chaque mot avait son poids
le poids de la pierre sur laquelle chaque mot était gravé au burin
le poids des parchemins en peau d’animal
ou même l’époque plus récente où vous les humains, écrivaient avec la main, sur du précieux papier, avec des plumes d'oiseau, des encriers
Où nous atterrissions sur le papier par quelques arabesques du poignet, par le dessin des lettres accrochées l'une à l'autre
Où est passé le mouvement appliqué, rond, élégant du calligraphe
À une époque nous étions pris au sérieux, enveloppés dans du papier épais, parfois dans des enveloppes fermées à la cire, ornées d'un blason ou d'un cachet
À une époque, des gens faisaient de longs voyages pour simplement signer un acte
Aujourd'hui mes amis, vous voulez ne plus vous déplacer, vous avez bien raison,
la paperasse, les pages de clauses, les conditions à valider,
Il n’y plus de raison de sacrifier des forêts pour ces futilités
Délivrez-nous de la dictature du soupçon et de l’exhaustivité !
Le moment est maintenant venu de vous déclarer toute notre amitié.
Philippe Brami Juin 23
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